Firewatch, un nouveau jeu d’un genre unique
La solitude et les expéditions en forêt seront le lot quotidien d’Henry pendant tout son séjour. Cependant, il s’agit plus d’une solitude physique que d’une réelle solitude humaine. Car notre bougre est constamment relié par radio à Delilah, sa supérieure. Cette femme d’une quarantaine d’années un peu trop accro à la tequila et aux mauvais jeux de mots est intelligente, charmante et un peu indiscrète, aussi. Firewatch, outre son histoire remplie d’intrigues et de mystères, raconte avant tout la relation très particulière qu’entretiennent Henry et Delilah.
Les dialogues extrêmement bien écrits de Firewatch et les interprétations de Rich Sommer (qu’on aura vu dans Mad Men) et Cissy Jones (qui double notamment la mère de Chloé dans Life is Strange) donnent une profondeur impressionnante à des personnages qu’on ne voit jamais. Que ce soit Henry, parce que le jeu est en vue subjective, ou Delilah, parce qu’elle est toujours au loin dans sa tour. Cette narration au cordeau n’est pas si étonnante quand on sait que ce sont des anciens de The Walking Dead qui sont derrière le jeu.
Ce lien entre ces deux personnages en perdition est représenté dans le jeu par le talkie-walkie, l’objet central du jeu. Il est tellement important que sur PC, c’est la touche shift, habituellement réservée à la course, qui lui est attribuée. D’un point de vue de la jouabilité, la priorité n’est ainsi pas donnée aux déplacements ou à la navigation, encore moins aux actions, mais bien à la conversation. À l’instar d’un vrai talkie-walkie, on maintient la touche pour parler et on relâche quand on a fini de choisir sa phrase. La roulette de la souris sert alors à sélectionner sa réponse. Avec une manette, il faudra s’accommoder des gâchettes pour choisir ce que l’on veut rétorquer. Grâce à ce système extrêmement ingénieux qui se superpose à pratiquement tout ce que le joueur peut être en train de faire (hormis s’orienter, car les deux mains sont prises par la carte et la boussole) il est possible d’interagir avec Delilah à tout moment. Le joueur n’a donc pas d’excuse pour ne pas répondre à sa collègue, il a accès à tout moment à sa radio et le fait de rester coi à une question sera considéré comme une réponse à part entière.
Delilah, malgré son absence, est donc toujours présente au travers de la radio. On ne la voit jamais, mais on l’entend toujours. En fait, pas vraiment, car en regardant au loin, on peut toujours apercevoir sa tour. La nuit, les fenêtres sont éclairées, comme un astre dans le ciel. Et on a envie, surtout quand on n’a rien de particulier à faire, de se tourner vers ce qui devient un monument lointain. Delilah est une sorte d’ange gardien, qui donne des informations, qui conseille, qui donne des instructions, sans jamais qu’elle ne soit présente et sans jamais qu’elle ne soit absente.
Il est ainsi impossible de définir clairement la relation qui la lie avec Henry tant le spectre de leurs interactions est grand. Elle est une collègue, elle une supérieure hiérarchique, elle est une amante, une protectrice, une amie, un fantasme, une confidente, une sœur. Firewatch proposera au joueur d’observer sur plusieurs mois la relation entre deux personnages qui ne peuvent pas se rencontrer, mais qui se rapprocheront dans leurs solitudes respectives.
Simulateur de rando
Le jeu laissera la part belle à l’inquiétude du personnage principal. Est-il vraiment la cible de quelqu’un ? Est-ce que ses inquiétudes ne sont que le fruit de son imagination ? La paranoïa prend une place importante dans cet isolement en pleine nature. L’ambiance pesante et les angoisses d’Henry sont parfaitement retranscrites par la mise en scène et l’ambiance sonore. Cet aspect est de surcroît servi par un scénario passionnant tel un thriller à ciel ouvert.
Le point commun dans tout ça ? L’orientation ! Car Firewatch est également une magnifique épreuve d’orientation. Oubliez les flèches en haut de l’écran ou une futile mini-map dans un coin, ici, vous devrez arriver à destination avec une bonne vieille carte plus ou moins topographique et une simple boussole. D’ailleurs, je vous recommande de faire le jeu en désactivant votre position sur la carte. Pour avoir fini le jeu par deux fois, dans les deux configurations différentes, il est bien plus amusant de tenter l’aventure en se repérant uniquement avec les éléments indiqués sur votre plan. Toutefois, pas d’inquiétudes, car le terrain de jeu est régulièrement balisé par des caches qui contiennent objets, lettres, et compléments de cartes très utiles. Elles sont toutes indiquées et peuvent être vitales pour se repérer si vous avez désactivé cette option.
Parce qu’au fond, se perdre fait également partie du plaisir dans Firewatch. Au pire, que peut-il vous arriver ? Tomber sur un autre décor magnifique ? Les panoramas valent souvent le détour. Imaginés comme des peintures, le moteur graphique et les textures parviennent à créer l’illusion de se promener dans de véritables tableaux. Et si vous êtes vraiment chanceux, vous pourrez même tomber sur un dialogue inattendu, une remarque d’Henry sur la vue qui donnera lieu à une blague de Delilah en retour. Le joueur est presque invité à se perdre, tant il est récompensé pour s’égarer. Les musiques ne sont d’ailleurs pas en reste. La plupart du temps composée de folk douce, la bande originale saura toujours devenir plus cinématique et stressante dans les moments de tensions.
Seule la durée de vie un peu courte pourrait être reprochée à Firewatch. L’idylle forestière ne dure en effet que cinq petites heures. Cinq heures intenses et magiques, certes, mais cinq heures malgré tout. Il ne faut pas non plus compter sur un éventuel intérêt a y retourner, la fin est unique et les choix de dialogues opérés dans le jeu n’auront qu’un effet sur la marge. Le choix des développeurs de créer une histoire parfaitement maîtrisée était à ce prix-là et il est impossible de leur en vouloir à cet égard.
Toutefois, une fois que le générique de fin de Firewatch déroule, il est difficile de ne pas regarder en arrière et de se mordre les lèvres. On regrette que cette parenthèse champêtre soit passée aussi vite. On se sent comme un enfant à la fin des vacances d’été qui compte secrètement les jours sans jamais réellement accepter que ce moment de durera pas éternellement.